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Nicolas, pompier professionnel, atteint d’un cancer : "Nous ne sommes pas assez protégés"

LE REPUBLICAIN
17 Août 22

Ce soldat du feu, dont le cancer n'a pas été reconnu comme maladie professionnelle, déplore un manque de moyens, les lacunes et les mauvaises habitudes de sa profession.
 
Les pompiers sont très exposés aux émanations des fumées, mais également aux contaminations des tenues de feux, des matériels, des véhicules et des locaux

Par Briac Trebert

La France brûle. Depuis le début de l’été, des incendies d’une rare violence se sont déclarés un peu partout sur le territoire en raison d’une sécheresse historique et de vagues de chaleur qui se sont multipliées.

Ces feux, qui ravagent tout sur leur passage, laissent des fumées, toxiques, auxquelles la population et les pompiers sont exposés.

Cancer, un mot tabou dans les casernes
L’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, a récemment documenté ces dangers pour les soldats du feu. Cet été, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a pris la décision de classer l’exposition professionnelle des pompiers comme « cancérigène ».
Pour autant, dans les casernes, le mot « cancer » reste tabou.

Pointée par l’Anses, « la nécessité de mieux prendre en compte les risques encourus par les sapeurs-pompiers après une exposition pendant et après les interventions de lutte contre l’incendie » est aussi soulignée par Nicolas (*), âgé d’une petite trentaine d’années.
Pompier depuis plus de 10 ans, tout d’abord à la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris, puis désormais pompier professionnel dans un Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de l’ouest de la France, il témoigne, sur Actu.fr.

« Pas assez protégés, formés et informés »
Atteint d’un cancer du testicule, sans que celui-ci ait été reconnu comme maladie professionnelle, il met en cause « le manque de protection » des soldats du feu.

« J’ai subi une orchidectomie [une ablation d’un testicule, ndlr.] en juillet 2020 après la découverte d’une tumeur, s’en est suivi un scanner thoraco-abdomino-pelvien qui a révélé une sarcoïdose [un trouble du système immunitaire, ndlr.] au niveau de mes poumons après une série d’examens et de prélèvements », commence-t-il au bout du fil.

S’il n’a pas eu à subir de chimiothérapie ni d’autres traitements, Nicolas est toujours suivi par un institut de cancérologie. « Je dois réaliser un scanner et une prise de sang tous les trois mois pendant encore trois ans. Le cancer qui m’a touché était un carcinome embryonnaire de stade 1 », explique-t-il.

Les pompiers français ne sont pas assez protégés, ne sont pas assez formés et informés sur les risques de cancer. Le mot "cancer" n'apparaît d'ailleurs dans aucun de nos référentiels à ma connaissance.

Au Québec, par exemple, 16 types de cancers sont déjà officiellement reconnus par le gouvernement comme maladies professionnelles et le combat continue. De nombreux parlementaires se sont emparés du sujet depuis des années.

Émanations des fumées et contaminations des tenues
Citant les pays nordiques, notamment, et une filière logistique « du propre et du sale » bien plus avancée, il évoque aussi « les douches de décontamination directement sur les véhicules qui restent rares en France, afin que les pompiers puissent se débarrasser au maximum des particules qui ont pu pénétrer les pores de la peau, les armoires séchante de décontamination à l’ozone qui commencent seulement à apparaître pour les tenues de feu …».

Il raconte le manque de moyens, et « les lacunes » en France et… des prises de mauvaises habitudes. Dans le cadre de leur mission de lutte contre les incendies, les sapeurs-pompiers sont confrontés à des émanations de fumées directes, mais aussi indirectes du fait de la contamination des tenues de feux, des matériels, des véhicules et des locaux.

Et l’impact sanitaire de cette exposition ne serait pas assez pris en compte. Le transfert de contamination est partout ou presque.

Nos procédures et nos matériels de décontamination pour nous protéger des risques de ces cancers sont encore à l'âge de pierre dans notre pays !

Nicolas,Pompier professionnel  

C’est ce que soulignait l’Anses dans son enquête, et ce qu’explique Nicolas dans son quotidien.
Nous avons à notre disposition dans nos véhicules des matériels de décontamination qui ont le mérite d'exister et qui limitent la casse sur un feu isolé (un feu d’appartement, un feu de poubelle…). Ils nous permettent de nous débarrasser du gros des particules contaminantes sur l’intervention et d'éviter de remonter dans le véhicule avec toutes ces substances cancérigènes. Mais toutes ces mesures deviennent régulièrement obsolètes en fonction des interventions que nous sommes amenés à réaliser.

Nicolas

Nicolas cite les feux de forêt qui « nécessitent de descendre et de monter en permanence dans le véhicule (et le contaminer) – des missions pour lesquelles l’ARI (l’appareil respiratoire isolant) trop lourd (environ 15 kilos) et avec trop peu d’autonomie n’est pas utilisable – mais aussi des événements telles que des violences urbaines, des feux de véhicules à répétition sur un secteur donné la nuit de la Saint-Sylvestre ou lors du 14-Juillet par exemple ».

« Notre profession et nos politiques ne veulent pas voir le problème en face »
Des situations qui « nous empêchent de réaliser ces protocoles de nettoyage et nous ramenons toutes ces particules dans nos centres de secours ! », souffle Nicolas.
À mon sens, notre profession et nos politiques ne veulent pas voir le problème en face, car cela impliquerait une réforme profonde de nos modes opératoires, de nos matériels, de nos formations, et surtout cela demanderait des sommes d'argent extrêmement élevées…
Nicolas
Dans « un guide de doctrine opérationnelle » à destination des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) édité par la DGSCGC, la Direction générale de la Sécurité civile et de la gestion des crises (qui dépend du ministère de l’Intérieur), il est pourtant mis en avant la « nécessité d’une évolution de la culture » et « l’importance de ne plus valoriser l’image du sapeur-pompier « héros » couvert de suie sur la peau et les vêtements de protection aussi bien au sein des services d’incendie et de secours que sur des supports de communication ».
Force est de constater cependant que ces photos circulent toujours, notamment lors des incendies en Gironde.
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La question de « l’appréciation du risque »
Ce document, édité en 2018 puis mis à jour en 2020, met aussi en avant – entre les règles de prévention et bonnes pratiques – la question de « l’appréciation du risque ». Un risque définit par la probabilité qu’une personne subisse un préjudice ou des effets nocifs pour sa santé en cas d’exposition à un danger.
Elle repose sur trois facteurs principaux : « la fréquence, la durée et l’intensité de cette exposition ».
Si les feux de forêt ne sont pas nouveaux, leur fréquence et leur intensité sont largement aggravées par le changement climatique. Et ce sont désormais de nouveaux territoires, jusque-là peu ou pas exposés aux risques d’incendie, qui sont touchés.

Plus de 1 500 pompiers sont intervenus ces derniers jours en Gironde pour faire face (encore) à un gigantesque incendie. Certains y sont mobilisés depuis le mois de juillet.

(*) : Nicolas est un prénom d’emprunt.